L’aumônier et Mady, une récidiviste

ll y a quelques années, l’Armée du Salut faisait chaque année la « tournée des prisons » avec un vrai programme de pièces de théâtre humoristiques et culturelles, avec à la fin un recueillement spirituel dont cette Armée a le secret. L’équipe comportait de vrais artistes et des comédiens amateurs. Le programme était, le plus souvent, un régal pour tous.

À la fin de la prestation, les aumôniers présentaient l’aumônerie en tant qu’institution, son rôle comme lieu de communication de la Parole religieuse catholique, protestante, musulmane, juive, bouddhiste, et ils prenaient note des personnes qui voulaient s’inscrire pour participer au culte. Une année, alors qu’il y avait beaucoup de récidivistes dans la salle, ce fut mon tour de présenter l’aumônerie protestante et son rôle. Et je me suis entendue dire à la fin : « En fréquentant l’aumônerie protestante, on récidive peut-être un peu moins ? » J’avais quand même quelques frissons dans le dos en m’entendant parler ainsi… C’est sûrement ma formation sociopédagogique d’éducatrice spécialisée, puis ma longue pratique dans l’accueil des jeunes des banlieues en grande difficulté à « La Bienvenue » qui m’ont arraché cette phrase d’invitation.

Suite à ma remarque, quelques personnes multirécidivistes se sont inscrites pour participer au culte hebdomadaire. Un récidiviste, comme je l’ai dit, est une personne qui revient assez régulièrement à la « case » prison. En effet, la prison est pour elle le seul repère stable et elle a malheureusement le temps d’y suivre ou d’y donner des « cours » de perfectionnement en matière de délinquance. Souvent ces personnes, qui se connaissent de longue date, se refilent des « tuyaux » utiles pour leur « business » de délinquants, et la prison devient alors la haute école du crime ! De ce fait, ces personnes récidivistes, davantage marginalisées, me paraissaient quelque part prioritaires par rapport aux personnes détenues « primaires » et aux jeunes des banlieues.

Les femmes inscrites avaient presque toutes une personnalité bien trempée. Ce n’était pas pour me déplaire. Parfois, certaines discutaient et contredisaient aussi mes enseignements bibliques. É tant volontiers bavardes, il n’était pas facile de leur donner un enseignement. Mady, une de ces femmes de retour en prison après un court séjour en liberté, me demande un entretien personnel. Elle se plaint alors abondamment « que Dieu l’a laissée tomber : « Oui, le Bon Dieu ne m’aime plus. Il ne me prévient plus par un rêve quand viennent les flics.

Pourtant, dans le passé, Il le faisait ». Dieu est vu comme un complice qui vous lâche ! J’ai pris la mesure de sa déception, voire même de sa colère. Nous avons alors cherché ensemble à donner du sens à ce changement, car lors de son précédent séjour, nous avions déjà évoqué la possibilité de rechercher un travail honnête, considérant que le « business » de drogue était une fausse piste pour une chrétienne. Dieu avait pu la prévenir en rêve, car elle ne savait pas encore que ce n’était pas bien de vendre de la drogue. Maintenant qu’elle le sait, « Dieu ne la prévient plus », car Il veut qu’elle arrête.

Mais cela peut aussi, au contraire, être une ruse du diable, car celui-ci veut certainement qu’elle reste dans ce mauvais « business ». Puisque Mady veut suivre le Seigneur, elle doit agir « bien » et le Malin ne pourra plus intervenir comme il le veut. Mady est sidérée : « Alors il va bien falloir changer de vie maintenant, prendre le droit chemin, rechercher un travail honnête et tout et tout ? »… Dorénavant elle est davantage à l’écoute de la parole de Dieu ; elle commence aussi à réfléchir, à préparer un projet de vie davantage chrétien qu’auparavant. Fort heureusement, il y a des chrétiens qui prient dans les

coulisses afin que l’aumônier trouve les mots justes, l’humilité nécessaire pour bien accompagner la personne détenue qui, à son rythme, fait un travail sur elle pour s’orienter vers une vie changée, une vie nouvelle…

ERB, Rose-Marie. Voir Dieu agir en prison (French Edition) (pp. 32-34). Édition du Kindle.